Le projet Les Veilleuses est né de l’envie d’évoquer des gestes fondamentaux, qui ont lieu dans les hôpitaux partout dans le monde et qui se passent souvent de mots. Ils surviennent dans des moments de grande fragilité ou des instants merveilleux, parfois dans des lieux où on préférerait ne pas se retrouver. Ces gestes sont accomplis par des hommes et des femmes qui veillent. Ils veillent aux soins des malades, des aïeuls, des blessés, des mourants, des nouveaux nés. Ils et elles sont infirmières, médecins, brancardiers, kinés, ou pratiquent d’autres métiers, qui parfois n’ont pas de noms. Ils sont tout autour de nous, le jour, la nuit, quand la terre tremble ou que le monde dérape, mais aussi quand le soleil se lève. Parfois on nous demande si ce métier n’est pas trop difficile. Je n’ai pas trouvé de réponse simple à cette question. Il existe un mot, en langue allemande, qu’on ne peut pas vraiment traduire dans la nôtre: «le sehnsucht». Il s’agit d’un élan vital, mêlé d’intimité, de délicatesse, de tristesse et de force. Peut-être ce métier est-il fait d’un peu tout cela. Parfois c’est poser un quartier de pomme à côté d’un médicament chaque matin, parfois c’est oser rire alors que c’est difficile. Oser pleurer parce que c’est émouvant, ou effleurer une peau qui n’a pas été touchée depuis longtemps. Cela se fait dans toutes les langues, mais ne se raconte pas facilement. Les images et les textes proposés par le collectif Les Veilleuses montrent ce qui se passe aujourd’hui, comme cela se passe depuis le début de l’Histoire. Là où des femmes et des hommes se sont mis à s’occuper des plus fragiles.
Aux creux des jours Nous accompagnons des rêves immenses Rêver de respirer, de manger, de marcher Rêver de nager D’avoir une nuit à soi De l’autre côté des murs La foule qui se porte bien Dort sans y penser Parfois sans reconnaître la paix
L’hôpital est un lieu de vie, de mort et d’intensité existentielle. Un lieu de soins, de sollicitude et de souffrances partagées, où se rencontrent les expressions les plus variées, parfois les plus extrêmes, de la vulnérabilité humaine. Un lieu où se conçoit l’art collectif et multidisciplinaire d’accueillir cette vulnérabilité et de l’étreindre, en tentant justement de préserver, en toute circonstance, l’humanité du sujet qui se trouve menacée par les aléas du corps gravement malade. Pour toutes ces raisons, l’hôpital peut s’apparenter à un lieu où s’élabore, en permanence, telle une caution d’humanité, une éthique du vivant.
18 heures, 18 jours, 18 mois, 18 ans ...
Arrêtons-nous un instant Pour observer cette main Qu’on éduque et qui se perfectionne, tâtonne, entreprend des chefs-d’oeuvre Cette main aux manoeuvres qui grandit et en accompagne une autre Devenue maîtresse à son tour, elle guide, elle enseigne, elle pratique. Arrêtons-nous un instant Pour admirer l’amour qui effleure ses doigts, La douceur des gestes, Elle qui nous relève tant de fois face aux imprévus de la vie. Arrêtons-nous un instant Pendant que les sots les appellent “main-d’oeuvre”, Admirons l’héritage de ceux qui veillent, fabriquent, nourrissent et soignent. Prenons le temps Et regardons les lignes qui gravent l’histoire d’une vie.
Incisez les chairs Ouvrez la cage d’ivoire Vous y trouverez un ami fiable Qui nourrit beaucoup d’espoir Prétendons que demain Cette pompe infatigable Trouvera une place entre nos mains
L’hôpital est un lieu hors du temps. La vie y est en suspens, bousculée par une maladie, un mal-être ou un accident. Les certitudes de la vie ordinaire n’en sont plus : la garantie de pouvoir bien grandir, d’aller faire du sport ou d’aller à l’école. Les questionnements surgissent : pourquoi moi, pourquoi lui, pourquoi maintenant, pourquoi déjà ? Le rythme est parfois trop lent, trop longtemps : les heures qui s’égrènent, l’attente de la visite du médecin, l’annonce des résultats. Et puis tout s’accélère et tout va trop vite, parfois sans l’avoir vu venir. Face à la douleur du corps et de l’âme, des petits et des grands, la fragilité de la vie frappe en plein coeur. L’hôpital est un lieu hors des cartes. On est soulagés d’y arriver mais on craint d’y rester. Derrière ses hauts murs, sa réalité est difficilement partageable. Au-delà d’un diagnostic, il faudrait décrire les odeurs, les bruits, les lumières, les ascenseurs, les couloirs et les chaises inconfortables. Il faudrait expliquer les regards, les sourires, les attentions, les mains sur l’épaule et les encouragements. Il faudrait raconter les soignants du corps et de l’esprit, qui parfois surgissent là où on ne s’y attend pas. À toute heure du jour ou de la nuit. L’hôpital est un lieu plein de Vie. Il sollicite notre humanité, dans la vulnérabilité comme dans la protection. Il invite à se confronter à nos limites et nous renvoie le besoin de prendre soin de nous et de nos proches. Il exhorte à distinguer ce qui est essentiel de ce qui ne l’est pas.
Les Veilleuses : Ariane Rousseau, François Sauvage, Louise Cordemans, Jessica Frippiat, Julie Cano-Chervel, Claire Van Pevenage, Isabelle Lambotte, Francis Roth, Naoil Chatar, Ksenija Limani et Virginie De Wilde, Florianne Mandin et Renato Baccarat, Iota, Chloé Cayla, Céleste Gangolphe & Elise Indovino, 13 Pulsions, Bleu Dans Vert et Gael Turin.